Les mouvements écologistes et la place de l’engagement politique féminin en Inde
Simran Hardeep Singh
Introduction
A l’heure actuelle, les mouvements écologistes deviennent de plus en plus importants. Dans un contexte dans lequel la dégradation environnementale s’amplifie, on observe des conséquences néfastes non seulement sur la planète, mais aussi sur les populations dépendantes des ressources naturelles à leur survie. En effet, la dégradation de l’environnement est un phénomène qui touche de nombreuses populations, et plus lourdement les populations indigènes. L’Inde étant un vaste terrain de mouvements sociaux et ayant une population autochtone importante, elle a été marquée par plusieurs mouvements écologistes qui ont défendu les droits des autochtones ainsi que leur mode de vie. Parmi ces mouvements, les plus documentés restent le mouvement Chipko (1973-1980), le Narmada Bachao Andolan (NBA) (1985), et plus récemment, le mouvement anti barrage de Tehri (2000). De façon intéressante, tous ces mouvements écologistes partagent une forte participation des femmes, qui se sont montrées au premier plan lors de plusieurs manifestations (Jain 1984 ; Routledge 2003 ; Drew 2014). Ce constat a conduit de nombreux politologues à étudier le lien entre l’engagement politique féminin et la défense de l’environnement. Bien que les femmes se soient toujours engagées dans les mouvements sociaux depuis la période coloniale en Inde, leur participation dans les mouvements écologistes est intéressante car elle évoque des particularités dues à leur condition féminine, étroitement liée à leur relation à l’environnement. Ce blog vise à expliquer le phénomène de la forte implication des femmes dans les mouvements écologistes à travers la discussion sur la relation entre l’environnement et l’engagement politique féminin en Inde.
Contexte : mouvements écologistes en Inde
Tout d’abord, je vais discuter du contexte dans lequel s’inscrivent ces différents mouvements écologistes. Parmi ces mouvements écologistes, les mouvements anti barrage ont été les plus documentés et ont connu une croissance allant au-delà des frontières nationales. « Publié au mois de novembre 2000, le Rapport de la Commission Mondiale des Barrages reconnaissait qu’entre 40 et 80 millions de personnes avaient été déplacées à cause de la construction de barrages » dans le monde entier (Caubet 2012). Ces chiffres révèlent l’ampleur des constructions de barrages en termes de personnes affectées par celles-ci. Bien que dans ce blog il ne soit uniquement question du cas de l’Inde, ces données traduisent l’enjeu mondial de ces mouvements, non pas réduit à un seul pays, mais bien à plusieurs peuples et nations.
Le texte de Racine (2001) argumente sur l’importance de la maîtrise de l’eau et sur la place des barrages à des fins agricoles en Inde. Depuis Nehru (Premier ministre indien), la politique du développement a donné une place importante à la construction des barrages pour assurer l’irrigation et la croissance de la production agricole. Cependant, ces plans de développements négligent souvent les populations affectées par la construction des barrages. Non seulement les habitants sont submergés ou déplacés, mais leur mode de vie en est aussi impacté sans recevoir ni rehabilitations ni compensations suffisantes (Racine 2001 ; Drew 2014). Le NBA, un combat médiatisé et internationalisé ayant duré sur une période de douze ans a notamment évoqué ces enjeux à travers une double articulation. D’une part, par la critique de la politique nationale, et d’autre part, par la critique générale du système mondiale qui appuient et renforcent ces plans de développement (Racine 2001). Ces mouvements écologistes sont significatifs car ils révèlent différents enjeux qui sont au cœur de la politique indienne : la négligence des populations indigènes, la critique de la domination étatique et de ses plans de développement économique (Racine 2001) et la façon dont les femmes sont les principales victimes de ces processus.
Relation entre genre et l’environnement
Dans cette partie, je vais davantage discuter de la relation entre genre et l’environnement, révélant comment les femmes sont les principales victimes des plans de développement de l’Etat.
Le mouvement Chipko, mentionné dans l’introduction, est le premier mouvement écologiste en Inde à avoir pris une ampleur significative tout en témoignant d’une implication massive des femmes. Ce mouvement contestait un projet de déforestation dans la région de l’Uttarakhand, et qui par la suite a été repris par d’autres militants dans plusieurs états indiens avec des objectifs similaires. La haute participation des femmes dans ce mouvement a conduit des éco féministes telles que Shiva (1988) à associer ce mouvement à un mouvement féministe. Selon elle, la participation des femmes s’explique à travers l’existence d’une relation naturelle entre l’environnement et les femmes. Autrement dit, les femmes seraient prédisposées à défendre l’environnement à cause d’une connexion biologique entre elles et la nature. Ces idées ont été rapidement réévaluées et contestées par d’autres auteurs notamment, Jackson (1993). Cette auteur démontre que la connaissance que possèdent les femmes sur l’environnement est une conséquence d’un construit social et non d’une relation naturelle (Jackson 1993). Les femmes sont plus impliquées à préserver l’environnement car les ressources naturelles ont un lien direct avec la division sexuelle des tâches ménagères et du travail (Agarwal 2000). Par ailleurs, les femmes rurales sont plus dépendantes des ressources naturelles car “they have much less access to private property resources: land, employment, productive asset” ainsi que “to markets, to the cash economy and, in societies with strict female seclusion, even to the marketplace” (Agarwal 2000, p.299). En ce sens, le mouvement Chipko n’est pas de nature féministe car il ne vise pas à contester les rapports de force de genre, mais à défendre un enjeu qui concerne plus souvent les femmes (Jain 1984).
Toutefois, Jain démontre que le mouvement est en effet révélateur de la prise de position des femmes et de leur capacité à se mobiliser pour défendre une cause qui leur est chère. Bien que ce mouvement et d’autres mouvements écologistes dont j’ai discuté ne soient pas de nature féministe, ils peuvent être étudiés à partir d’une approche féministe, autrement dit, à travers une focalisation sur les militantes, la nature de leur engagement et les changements qu’ils apportent dans leur vie quotidienne.
L’engagement politique féminin dans la préservation de l’environnement
Drew, une chercheuse qui a étudié l’engagement politique féminin dans le mouvement anti barrage à Tehri (2000) évoque une analyse du croisement entre genre et classe (2014). Elle étudie particulièrement l’engagement politique des femmes rurales et des femmes urbaines et démontre que les femmes ne constituent pas d’un groupe homogène et donc que leur rapport à l’environnement diffère. Le barrage de Tehri devait être construit sur la rivière sacrée du Ganges et tandis que les femmes urbaines l’ont contesté d’un point de vue religieux, les femmes rurales étaient plus concernées par la diminution de l’accès à l’eau et par la survie de leur mode de vie. Ainsi, son analyse démontre que le rapport entre genre et environnement peut être multiples selon la classe auxquelles appartiennent les femmes.
Conclusion
Ce blog tenait à souligner le poids des mouvements écologistes qui sont révélateurs des enjeux d’inégalités de genre et de classe auxquelles on ne penserait pas au premier abord. Une étude de ces mouvements est révélatrice d’enjeux plus larges dans le contexte indien, notamment de la politique du développement et de ses conséquences néfastes sur les populations indigènes. Parmi ces populations, les plus affectées sont souvent les femmes à cause du rapport qu’elles entretiennent avec l’environnement. Ces femmes recours à l’usage des ressources naturelles dans leur activités quotidiennes, et ainsi, celles-ci constituent d’une partie importante de leur mode de vie. La forte participation des femmes au sein des mouvements écologistes met en avant cette relation entre genre et environnement, à laquelle s’ajoute aussi une dimension de classe.
Malgré cette implication élevée de la part des femmes dans les mouvements écologistes, d’après Agarwal (2000), la représentation des femmes dans les positions de leadership reste faible. Toutefois, selon elle, étant donné des réseaux quotidiens entre femmes, et de leur activités qui impliquent la maîtrise des ressources naturelles, les femmes doivent être davantage représentées et devrait jouir de position de leadership non seulement au sein des mouvement écologistes, mais aussi dans l’action collective quotidienne telle que les groupes de foresterie communautaire. D’après elle, le lien qu’entretiennent les femmes avec l’environnement est une force cruciale dans l’action collective pour la préservation de la nature et ne devrait pas être négliger.
Bibliographie
Agarwal, B. (2000). Conceptualising Environmental Collective Action: Why Gender Matters. Cambridge Journal of Economics, 24(3), 283-310.
Caubet, C. (2012). Comment peut-on se soulever contre des barrages ?. Multitudes, 50(3), 149-153. doi:10.3917/mult.050.0149.
Drew, G. (2014). ‘Our bones are made of Iron’: The political Ecology of Garhwali Women's Activism. Australian Journal of Anthropology, 25(3), 287-303
Jackson, C. (1993). Doing What Comes Naturally? Women and Environment in Development. World Development, 21(12), 1947-1963.
Jain, S. (1984). Women and People's Ecological Movement: A Case Study of Women's Role in the Chipko Movement in Uttar Pradesh. Economic and Political Weekly, 19(41), 1788-1794.
Racine, J. (2001). Le débat sur la Narmada : l’Inde face au dilemme des grands barrages. Hérodote,102(3), 73-85.
Routledge, P. (2003). Voices of the Dammed: Discursive Resistance Amidst Erasure in the Narmada Valley, India. Political Geography, 22(3), 243-270.
Shiva, V. (1988). Staying Alive: Women, Ecology and Survival, London, Zed Books.
World Bank, Commission Mondiale des Barrages. (2000). Rapport Final, Barrages et Développement : Un nouveau cadre pour la prise de décision, www.worldbank.org/dams